The scales of justice ; (Anubis)

Le désert est si beau lorsque le soleil est bas, c'est un spectacle à couper le souffle. À l'heure où le soleil décline, qu'un léger vent se lève, on peut voir danser le sable des dunes. Pourtant, les yeux qui observent ce spectacle n'aime pas le sable ; ne l'aime plus. Il y a un souvenir tatoué dans la chair, d'un nouveau-né hurlant à même le sable, sous la cuisante chaleur du soleil ; sous la froideur pâle de la lune. Le sable est grossier, il s'infiltre partout, gratte, blesse et assèche. Le sable, il essaie de vous étouffer, lorsqu'il s'accumule lentement sur vous.

Une main plonge néanmoins dans l'épaisse masse filante encore chaude de la journée. Les grains, fins et délicats, glissent entre les doigts écartés, jusqu'à former un minuscule dôme à même la dune. 'Reviens...' La voix résonne dans sa tête avec un délicat écho ; une voix chaude, douce, câline et maternante. Il la chasse d'un revers de la main, comme il chasse le sable de ses mains. La scène se rejoue dans son esprit. Ses muscles se tendent, son ventre se tord et ses narines se dilatent de colère.

Quel âge a-t-il désormais ? Cela fait bien des siècles, voir des millénaires, qu'Anubis a cessé de prendre ces choses en considération. Toutefois, il sait que cela fait autant de temps qu'on lui ment ; autant de temps qu'il est la raison d'une guerre qui n'a pas de fin. L'impartialité, la neutralité, l'objectivité ont toujours rythmé sa vie, sans savoir qu'au fond, s'il ne pouvait pas prendre un parti plus que l'autre, c'était justement parce qu'il avait un parent dans chaque camp. Lui qui pensait qu'il était ainsi à cause sa mission sacrée, celle de guider les âmes dans l'au-delà, vers la paix ou la damnation éternelle.
Dans un univers toujours en guerre, où même un mort ne peut trouver le repos, comment peut-on trouver la paix éternelle ?

'Je suis ta mère !' La phrase fatidique semble tournée en boucle dans sa tête, telle une ribambelle entonnée par un enfant. Cette phrase qui, à elle seule, aurait dû être une justification suffisante aux yeux de Nephtys, pour que le seul dieu impartial se décide à choisir. Cette phrase avait réveillé en lui ce dont aucun enfant ne se souvient jamais : l'abandon d'un nouveau-né par une mère sur le sable brûlant du désert. Génitrice, ne veut pas dire mère. Ah, s'il avait pu s'agir d'un mensonge ! Son existence entière en était un finalement.

À qui faire encore confiance après tout cela ? Anubis reposa ses yeux sur le spectacle aux miles couleurs du crépuscule sur le désert. Son père avait affirmé que la haine de Seth n'avait pas de raison d'être tangible. Qu'il était ainsi et qu'il fallait l'accepter. En vérité, Osiris avait déshonoré la femme de ce dernier et lui avait fait un enfant, lui qui pourtant ne pourrait en avoir ; le mariage étant stérile. Elle, elle, avait tenté de le cacher en l'abandonnant. Et vient alors, Isis, celle qu'il appellerait 'mère' pour l'éternité. Toutefois, la rancœur s'est installée dans le cœur d'Anubis. Elle savait ! Elle n'avait rien dit !

'Reviens... je t'en prie...' Son coeur se serre dans sa poitrine, mais il ne répond pas. La voix de ses pairs dans sa tête est parfois insupportable, mais il a appris à la contrer. Isis est forte à ce jeu-là, mais il est plus fort encore ; la colère lui donne une énergie qu'il ne soupçonnait pas. Les voix se multiplient, il reconnait chacune d'elle, alors qu'il se redresse et qu'il ferme les yeux. 'Mon fils.' Il ferme son esprit à Osiris avec encore plus de rancune et de rage qu'à sa mère. 'Mon frère, je t'en conjure!' Ah, Horus... as-tu appris toi aussi... mais son esprit se clos. 'Anubis!' Sa femme semble hurler de là où elle est, mais le dieu devient hermétique. 'Papa... papa, s'il te plait...' Des larmes d'or coulent sur ses joues alors qu'il fini par fermer totalement son esprit. "Je suis désolé, ma chérie... mais ça, je le fais aussi pour toi." Car de camp, finalement, il y en a trois. Les partisans d'Osiris, les partisans de Seth... et au milieu, l'impartialité, la neutralité ; au milieu, il y a sa famille. La souffrance de milliers d'années de guerre, Anubis ne veut pas l'imposer à celles qu'il aime.

Le soleil se mourant dans son dos, son regard se pose sur la ville de Thèbes qui semble s'élever comme dans un songe. L'écart est saisissant entre ce qu'il connaissait et ce qui se tient devant lui. Anubis a soif de tranquillité, de repos et d'introspection, c'est au sein de l'humanité qu'il compte trouver cela. Il veut apprendre des mortels, pour mieux gérer ceux des immortels. Tout n'est-il pas plus beau, quand on sait que cela à une fin ?