Première rencontre ∣ ft. Mia

Nous étions le début du mois et je dois avouer que je m'étais mise en tête que faire des ménages en intérim fonctionnerait bien. Que je pourrais gérer mes études à côté et réussir à ne pas m'épuiser. Cependant, je devais me rendre à l'évidence, payer mon appartement toute seule, tout gérer toute seule, c'est un peu plus compliqué que je ne voudrais bien le dire. C'est pour cela que j'avais lancé une recherche de colocataire. Après tout, mon appartement possédait une chambre de disponible alors autant en faire profiter quelqu'un. Bien sûr, je préférais avoir une colocataire fille, juste au cas où dirons nous.

En cette fin d'après midi, j'avais déjà vu plusieurs candidates mais ça n'avais pas été le coup de coeur. La dernière partie, je me suis dirigée dans la cuisine pour me faire couler un café. M'appuyant sur le plan de travail, mon regard se pose sur mon alliance. Kit me manque. C'est plus qu'une certitude. Je respire profondément alors que j'écoute le café couler avant de me rendre compte que j'avais oublié de mettre la tasse.

"Par toutes les souris, que je suis distraite !" lâchais-je alors avant d'arrêter la cafetière même s'il était trop tard et que j'allais devoir dans tous les cas nettoyer derrière moi. Au même moment, la sonnette de l'entrée retentit.

Attachant ma chevelure blonde en chignon haut, je me dirige vers la porte et ouvre avant de sourire à la jeune femme.

"Bonjour ! Tu dois être Mia ? Enchantée, je suis Ella." me présentais-je avant de me pousser "Entre, je t'en prie."

Retour à la case départ… Alors qu’elle se tient devant la porte de l’appartement où l’attend son éventuelle future colocataire, Mia éprouve un mélange d’appréhension et de frustration… Elle savait que sa carrière pourrait peut-être un jour prendre du plomb dans l’aile, qu’elle ne devrait jamais se reposer sur ses acquis… mais elle ne pensait tout de même pas en arriver là, à devoir éplucher les annonces de colocation, parce qu’elle n’a pas les moyens de payer son loyer seule…

Adieu l’imposante villa de rêve sur les hauteurs de Los Angeles, adieu la vie de rêve et les tenues de luxe… Mia revient à ces conditions de vie plus modestes qui, quelques fois, l’ont fait songer à renoncer à sa carrière d’actrice… Elle n’a pas le choix. Plus rien ne l’attend chez elle… elle ne sait même plus si elle a un chez-elle, faute d’avoir la moindre nouvelle de son époux et de son fils… Alors elle n’a pas le choix… par le passé, elle était en collocation avec trois amies qui elles aussi aspiraient à devenir actrices… qui sait, peut-être que cela lui permettrait bel et bien de se changer les idées, de voir les choses sous un autre angle.

Elle verra bien, rien n’est gagné dans tous les cas, il faudrait déjà que la prénommée Ella, si elle se fie à l’annonce, accepte bel et bien de l’accepter comme colocataire. Après tout, elle n’a pas forcément le dossier idéal. Même si elle a réussi à obtenir quelques rôles secondaires dans l’un ou l’autre film, et s’est même trouvé une agente artistique (qui vide encore davantage son budget d’ores et déjà serré), elle n’a pas des revenus stables, et cela aura probablement de quoi susciter de l’inquiétude chez son interlocutrice. Donc cette situation est probablement susceptible de compliquer encore davantage les choses. Une seule façon de le savoir, elle sonne à la porte, et on finit par lui ouvrir.

« Salut. Mia, c’est ça. Enchantée, Ella », répond la jeune femme en se présentant sous le meilleur jour qui puisse être. De l’avantage de savoir jouer la comédie, elle sait normalement s’adapter à toutes les circonstances sociales. « C’est joli, chez toi », elle remarque une fois avoir mis un pied à l’intérieur. « Tu vis ici depuis longtemps ? »

"Moi aussi, je suis enchantée" énonçais-je avec un sourire avant de me pousser pour laisser entrer Mia.

Une fois la porte close, je me dirige dans la cuisine pour finir de nettoyer ma catastrophe caféinée avant de tourner le regard vers Mia.

"J'ai lancé le café et j'ai oublié de mettre la tasse." énonçais-je avec un sourire, néanmoins amusée de la situation.

Une fois la chose réglée, je pose mon regard sur la jeune femme.

"Merci beaucoup" la remerciais-je quand elle complimenta l'appartement "ça fera bientôt un an" énonçais-je alors à son intention "Tu es à la Nouvelle-Orléans depuis longtemps ?" demandais-je à mon tour.

Mon sourire disparu lorsque je me rendis compte que le temps continuait de filer et que je n'avais toujours pas retrouvé Kit. Me raclant la gorge, je finis néanmoins par reprendre la parole.

"Je te sers quelque chose à boire avant toute chose ?" demandais-je à la jeune femme.

Cette jeune femme a l’air tout ce qu’il y a de plus adorable. En quelques secondes seulement, elle parvient à mettre Mia en confiance. La jeune actrice le sait, bien sûr, elle doit prendre le temps d’apprendre à la connaître, et de poser les bonnes questions, mais elle sent que toutes les deux pourraient bien s’entendre et avoir des atomes crochus. Le sourire d’Ella est sincère, lumineux et communicatif – la pensée fugace qu’elle ferait une superbe actrice traverse brièvement l’esprit de la jeune femme. Elle sent que si la jeune femme décide de vouloir d’elle pour colocataire, alors elle aura tout gagné.

« Oh, je vois », dit-elle en riant doucement quand son interlocutrice lui apprend qu’elle a oublié de mettre une tasse sous ta cafetière. « T’en fais pas, c’est l’histoire de ma vie, ça, si tu savais le nombre de fois où ça m’est arrivé ! Et je travaillais dans un Starbucks, c’est te dire… ça me rassure de savoir que je suis pas la seule », assure-t-elle avec sincérité, car c’est le cas. Mia sait être franche, directe et honnête, et elle est plus que sincère. « Je suis arrivée il y a quelques semaines », dit-elle en n’osant pas trop parler des circonstances particulières de son arrivée à La Nouvelle-Orléans. Attachée à l’image qu’elle renvoie d’elle-même, elle n’a jamais osé demander aux personnes qu’elle a croisées si sa situation était inédite ou si d’autres l’avaient vécue également. « Et tu aimes la ville ? Tu fais quoi dans la vie ? »

Mia, de son côté, ne saurait trop dire ce qu’elle pense de cette ville. Elle estime que son existence et son avenir appartiennent à Los Angeles. C’est à Hollywood qu’elle pourra déployer tous ses talents d’actrice (ironique, dans le fond, quand on songe au fait que c’est un film tourné à Paris qui lui a permis de décoller). Elle a bien essayé d’y retourner, mais à chaque fois, invariablement, elle était comme… appelée… par La Nouvelle-Orléans… Quant à ce qu’elle avait trouvé à Hollywood… Rien de rassurant. Son mari n’était plus là, sa fille, aux abonnés absents. Cette pensée l’avait horrifiée mais placée face à la complexité de sa situation. Elle n’aurait pas d’autre choix que de l’accepter, ne lui en déplaise. Plutôt que de s’épancher sur son sort, il est donc plus simple encore de s’intéresser à la vie de son interlocutrice.

« Je prendrais bien un café, justement, si ça ne te dérange pas. »

"ça me rassure aussi pour le coup" énonçais-je avec un petit rire "Disons que...enfin là d'où je viens, ça m'aurait causé pas mal d'ennuis d'avoir oublié la tasse." avouais-je alors sans en dire bien plus.

Il est clair que c'est quelque chose que ma marâtre n'aurait pas vraiment appréciée mais elle faisait partie du passé. J'avais désormais cette chance d'être loin d'elle et pour sûr que je n'allais pas la laisser gâcher ma vie dans cette ville. Passant une mèche blonde derrière mon oreille, je lève le regard vers Mia et lui souris.

"Je la découvre chaque jours." énonçais-je alors "J'étudie le droit et je fais aussi des ménages en intérim pour pouvoir payer le loyer." expliquais-je à la jeune femme "c'est un peu dur de jongler entre mes cours et le boulot, parfois on me demande de faire des ménages le soir, c'est pour cela aussi que ma recherche de coloc est urgente." expliquais-je avec sincérité "Avoir une coloc me permettrait de pouvoir réduire un peu mon temps de travail et pouvoir me concentrer un peu plus sur mes cours." expliquais-je alors.

Me pinçant les lèvres, je finis par reprendre la parole.

"Un café donc ! C'est parti !" énonçais-je alors avant de lancer la machine après avoir mis deux tasses en dessous pour nous en préparer un à toutes les deux.

En attendant que les tasses soient remplies, je tourne le regard vers la jeune femme.

"Ne prends pas peur d'accord mais je suis capable de parler aux souris...je sais que beaucoup craignent les souris alors je voulais te parler de ça rapidement pour savoir si c'est ton cas ?" demandais-je alors.

Mia observe son interlocutrice avec autant d’attention que de compassion, et affiche une moue curieuse quand cette dernière lui affirme que, d’où elle vient, le simple fait d’oublier d’ajouter une tasse sous sa machine à café aurait pu lui coûter cher… L’actrice n’est pas certaine de comprendre, mais l’idée, sans même qu’elle en comprenne l’ampleur, l’attriste tout de même. Elle ne sait pas si elle peut se permettre de poser plus de questions, mais sa curiosité naturelle prend le dessus. Au final, elle est juste incapable de faire autrement. Alors oui, Mia finit par poser la question qui lui brûle les lèvres, tant pis si cette dernière doit passer pour foncièrement indiscrète… ce qu’elle est bel et bien.

« Vraiment… et d’où est-ce que tu viens ? Enfin… si tu ne veux pas répondre, pas de souci, hein. »

Si elles doivent devenir colocataires, elles auront tout le temps de se rapprocher, mais pour le moment, elles restent des inconnues malgré tout. Elles ne se connaissent pas… Pas encore… Elles ne savent rien l’une de l’autre, mais cela se fera au fut et à mesure.

« Oh, une étudiante en droit ! » reprend Mia quand Cendrillon lui apprend que c’est là son champ de compétences, quand elle ne fait pas le ménage en intérim. Une jeune femme intelligente et courageuse, donc, car ce n’est pas simple de faire des études aussi exigeantes et de travailler d’une manière aussi fastidieuse… car faire des ménages est forcément quelque chose de plutôt éreintant. « J’admire, c’est le genre d’études que j’aurais été incapable de faire… Et le ménage, je t’en parle pas. » Elle esquisse une grimace. « Pas la meilleure idée d’admettre qu’on est bordélique quand on se cherche une coloc, pas vrai ? »

Oui, mais trop tard, elle vient de le dire, et elle ne peut pas vraiment se permettre de faire machine arrière, à présent.  Pas grave, son interlocutrice a l’air de bonne constitution… et autant dévoiler ses cartes tout de suite, après tout. Elle pense que ce ne sera pas pour déranger son interlocutrice. La pauvre a l’air de prendre beaucoup sur ses épaules… Mia fera du mieux qu’elle peut. L’avantage, c’est qu’elle a déjà fait une coloc, et que ça s’était très bien passé… Mais elle a quand même son petit caractère, et ça c’est pas toujours facile.

« Attends… attends… » Elle veut la remercier pour le café mais elle est soudainement prise au dépourvu. « Comment ça tu es capable de parler aux souris ? Tu te te fous de moi, pas vrai ? »

Je pose mon regard sur Mia.

"Là d'où je viens, on m'appelait Cendrillon. C'était un surnom donné par ma belle-mère et ses filles. A la mort de mon père, je suis devenue servante dans ma propre maison et c'est pour cela que si je faisais la moindre bêtise de ce genre, ça pouvait me couter cher." avouais-je à la jeune femme "Je viens du Royaume de France." expliquais-je à la jeune femme.

Tout du moins, il l'était à l'époque d'où je viens. J'en étais devenue la Reine avant de me retrouver ici, sans repères, sans mon Prince adoré. Me pinçant les lèvres, je finis par lever les yeux sur la jeune femme après lui avoir servi son café et m'être installée avec elle.

"J'aimerais beaucoup devenir avocate." expliquais-je "Je ne sais pas trop encore vers quel domaine je vais me diriger mais c'est vraiment quelque chose qui me plaît." ajoutais-je avant de reprendre "Oh t'inquiètes pas." énonçais-je avec un petit rire "Je t'apprendrais." concluais-je avec un clin d'oeil.

Restant silencieuse quelques instants, je porte ma tasse à mes lèvres avant de ramener mon regard vers ma future colocataire.

"Je plaisante !" repris-je "Je ne fais jamais de gros ménage ici, je me contente juste de ranger et de faire la poussière et l'aspirateur une fois par semaine." ajoutais-je "Si on devient coloc, tant qu'on peut se mouvoir dans l'appart, ça me va." repris-je avec un petit rire, amusée de la situation.

Je fais un léger signe négatif de la tête.

"Nope, je suis effectivement capable de parler aux souris. Enfin pas ici parce que ça marche pas, mais y'a certains endroits en ville où je retrouve cette capacité. Et je suis aussi l'amie des oiseaux sauf qu'eux, je les comprends pas. En somme, je suis l'amie des animaux mais je comprends que le langage des souris." concluais-je finalement "Mais ne t'inquiètes pas, je comprendrais si tu n'aimes pas les souris, elle reste généralement dans ma chambre." ajoutais-je alors "Je ne sais pas d'où me vient cette capacité mais je l'ai depuis que je suis toute petite." concluais-je alors.

Bien sûr, Mia a entendu parler du conte de Cendrillon… mais pour rien au monde elle ne se serait imaginée un jour rencontrer une jeune femme qui se prétendrait être la vraie Cendrillon, en chair et en os… ou en tout cas à l’histoire trop similaire pour que la chose ne paraisse pas… singulière. Mia ne sait pas comment réagir à ce flot d’informations qui lui est délivré, en cet instant. Elle sait bien sûr que cet endroit est particulier… Mais jamais elle n’avait rencontré quelqu’un comme son interlocutrice, et elle ne sait pas comment réagir à son propos… Est-ce qu’elle est supposée rire ? Elle n’en sait rien, elle ne sait pas la prendre au sérieux, en tout cas, raison pour laquelle elle se contente d’adresser un fin sourire à son interlocutrice afin de donner le change et l’impression de ne pas être plus déstabilisée que ça – merci ses talents d’actrice. Vraiment, elle ne s’attendait pas à ça… c’est hautement perturbant. Est-ce que cette histoire de colocation est une si bonne idée ? Oui, cette jeune femme a l’air très sympa, mais Mia n’est pas certaine de pouvoir croire un seul mot qui sort de sa bouche.

Pourtant, elle semble aussi normale et accessible, plus encore quand elle lui parle de son désir de devenir avocate, encore en train de se demander quelle sera son argumentation. Ce qui est certain, c’est qu’elle a déjà l’aplomb et le charisme… Ce sont deux talents plus que nécessaires quand on décide de devenir acteur.

Mia ne fait aucun commentaire quand son interlocutrice lui dit ne faire que le minimum syndical en matière de ménage… Oui, le minimum syndical pour elle, c’est déjà beaucoup pour la bordélique Mia, mais elle sait tout de même faire des efforts pour la collectivité… et c’est donc ce qu’elle fera bel et bien… si cette coloc se concrétise… Pour le moment, entendre la résurrection de Cendrillon lui parler de sa conversation avec les souris et les oiseaux, c’est beaucoup à encaisser d’un coup à ses yeux.

« O…K… »

Merde, Mia a quand même sacrément besoin d’un logement, ce serait dommage de s’arrêter à ça… Cette jeune femme a vraiment l’air un peu… spéciale… Mais elle n’a pas l’air méchante, après tout.

« J’avoue qu’on me l’avait jamais faite, celle-là, et pourtant, j’en ai vu, tu peux me croire. » Comme ces collègues qui ne jugeaient que sur la « méthode » qui consistait à s’imprégner à cent pour cent de son personnage. « Ne le prends pas mal, hein… »

Mais comment veut-elle qu’elle le prenne.